
À l’écoute des gouttes
31/10/2025 | 10 min
Marielle Gosset est une opportuniste. Enfin… elle est chercheuse en hydrologie et fait ce qu’on appelle des « mesures opportunistes ». Elle cherche des moyens de mesurer la pluie, partout dans le monde, à partir d’outils déjà en place et a priori pas faits pour ça. Elle étudie la pluie en Afrique et en Amazonie grâce aux réseaux de téléphone mobile et aux capteurs de biodiversité...Avec le changement climatique, la pluie a tendance à avoir des effets de plus en plus intenses. Il faut donc mieux la documenter pour réagir mieux et plus rapidement face aux pluies diluviennes. Plus on comprendra, plus on pourra prévenir les risques. Mais la pluie est très mal mesurée à l’échelle mondiale. En Europe, les données sont nombreuses et précises, grâce aux radars météo. Mais ces équipements coûtent très cher, il est donc impossible d’en installer partout dans le monde. Marielle Gosset a donc commencé par miser sur les réseaux de téléphonie mobile… Lorsque la pluie tombe, les gouttes d’eau viennent affaiblir le signal transmis d’une antenne à une autre. La chercheuse en a conclu qu’elle pourrait tirer des informations sur les pluies en étudiant les perturbations qu’elles produisent sur les ondes. Les réseaux mobiles étant très bien développés sur l’ensemble des continents, on pourrait alors localiser et quantifier avec précision les précipitations un peu partout !La découverte de cette alternative aux mesures classiques - appliquée avec succès en Afrique - a valu à Marielle une petite réputation. C’est comme ça qu’un jour, un de ses collègues brésiliens, Ayan Fleischmann du centre de développement durable de Mamirauá à Tefé, au cœur de l’Amazonie, l’a contactée pour lui soumettre une nouvelle piste…Des scientifiques qui surveillaient la biodiversité en forêt amazonienne faisaient régulièrement des enregistrements sonores dont l’analyse était parfois rendue difficile par la pluie… Un même capteur pourrait donc documenter la biodiversité ET la pluie. En effet, en regardant un enregistrement sonore, avec un peu d’expérience, on peut repérer le cri d’un oiseau, le moteur d’une pirogue et la pluie sur les feuilles, parce que chacun de ces sons a une signature sonore. Mais pas si simple… Il s’agit de bien faire la différence entre le pshhiii du vent et celui de la pluie, le ploc des gouttes résiduelles sur les feuilles et celui de la pluie véritable, les bruits liés aux chocs et autres gouttes sur l’enregistreur… D’autant que la pluie n’a pas le même son en fonction de son environnement au Brésil, au Cameroun ou en Malaisie… Marielle Gosset est chercheuse en hydrologie à l'IRD - institut de recherche pour le développement, au sein du laboratoire GET - géosciences environnement Toulouse (Université de Toulouse, CNRS, IRD, CNES, OMP).Sonar est une série et production Exploreur - Communauté d'universités et établissements de Toulouse. Coordination et suivi éditorial : Clara Mauler et Hélène Pierre, co-conçue et réalisée par Les Voix de Traverse : Aurélien Caillaux et Lucie Combes. Visuel : Delphie Guillaumé. Cet épisode est réalisé dans le cadre de La Nuit des chercheur·es et du projet Educ'eau en partenariat avec l'Agence de l'eau Adour-Garonne.

Boucler la boucle : le cycle de l'eau
23/10/2025 | 10 min
Mon premier est la pluie ou la neige ; mon deuxième est le ruissellement qui devient rivière ; mon troisième est l’océan ; mon quatrième est l’évapotranspiration (phénomène par lequel l’eau retourne à l’état gazeux sous l’effet de la chaleur et de la transpiration des plantes) qui nous ramène à mon premier… Mon tout est un cycle fameux. Je suis, je suis ? Le cycle de l’eau.La boucle est bouclée ? Ce cycle ainsi décrit ne fait pas référence aux barrages, à l’irrigation, aux usines… Cela fait à peine une décennie que les activités humaines sont bien intégrées dans les études de la compréhension globale de ce cycle.Youen Grusson, chercheur en hydrologie à l’Université de Toulouse, étudie le cycle de l’eau du bassin versant de la Garonne pour boucler le bilan hydrologique. Autrement dit, savoir le plus précisément possible où est passée l’eau. Et ce, pour comprendre l’impact de facteurs externes (changement climatique, pratiques agricoles, artificialisation des sols…) et élaborer des scénarios et solutions. Pour y arriver, Youen modélise le cycle de l’eau de ce bassin, l’un des plus surveillés en France. Première étape : décrire le paysage et comprendre ses spécificités (ici par exemple : le stockage naturel d’eau sous forme de neige dans les Pyrénées, et ses pentes raides très proches des plaines agricoles…). Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, et les données ne sont pas toujours exactes, voire manquantes. Deuxième étape : croiser ces données avec celles directement liées à l’eau ; les précipitations, le débit des rivières, l'humidité contenue dans les sols, l'évapotranspiration, le ruissellement, et aussi, les fameuses données liées à l’activité humaine. Idem, pas toujours facile à connaître et mesurer.Subtilité supplémentaire, il y a deux manières d’utiliser l’eau : soit on la prélève, puis on la réintroduit dans le cycle (c’est l’eau de la douche...), soit on la consomme, et elle n’est pas réintégrée au cycle (principalement l’eau utilisée pour l’agriculture). L’objectif est ici de répondre à une question : « Appliquées à grande échelle, l’agriculture de conservation (réduire le travail de la terre, favoriser une diversification de cultures, ne pas laisser le sol à nu…) pourrait-elle permettre à l’eau de mieux pénétrer les sols, moins s’évaporer et diminuer la pression sur cette ressource ? » Youen Grusson est enseignant-chercheur en hydrologie à l’Université de Toulouse, au sein du Cesbio - centre d'études spatiales de la biosphère (CNRS, IRD, Cnes, INRAE, Université de Toulouse).Sonar est une série et production Exploreur - Communauté d'universités et établissements de Toulouse. Coordination et suivi éditorial : Clara Mauler et Hélène Pierre, co-conçue et réalisée par Les Voix de Traverse : Aurélien Caillaux et Lucie Combes. Cet épisode est réalisé dans le cadre de La Nuit des chercheur·es et du projet Educ'eau en partenariat avec l'Agence de l'eau Adour-Garonne.

L'Inde souterraine : aux racines des arbres
07/10/2025 | 10 min
Selon un proverbe espagnol : « L’arbre est connu par ses fruits et non par ses racines. » Et pourtant, certain·es scientifiques passent plus de temps à en observer les racines qu'à en gouter les fruits ! Les racines constituent une partie vitale de l'arbre, qui le stabilisent et lui apportent l'eau et les nutriments nécessaires à sa survie. Et pour obtenir tout ça, les racines vont parfois chercher très (très) loin, jusqu'à plusieurs dizaines de mètres de profondeur (à ce stade vous nous accorderez l'appellation de racines profondes).C'est ainsi que dans la forêt de Mule Hole en Inde, au cœur du parc de Bandipur, manœuvres et puisatiers s'affairent. Pour mieux comprendre le rôle des racines profondes, Jean Riotte, chercheur en géochimie, supervise le creusement de deux puits d'observation, respectivement de dix et neuf mètres de profondeur. À l'intérieur, scanners, sondes et autres instruments de mesure permettent à des scientifiques franco-indien·nes de suivre les dynamiques racinaires de façon continue et autonome (oui parce que descendre dix mètres sous terre plusieurs fois par jour pour effectuer une mesure c'est un peu usant à la longue). Cette instrumentation hors-norme leur permet de mieux appréhender le cycle des éléments chimiques, de comprendre comment les populations d'arbres se répartissent les ressources, et d'identifier le rôle de chacun dans la composition du sol et la circulation des nutriments...Jean Riotte est chercheur en géochimie à l’IRD - Institut de recherche pour le développement, au sein du laboratoire géosciences environnement Toulouse (Université de Toulouse, CNRS, IRD, CNES).Sonar est une série et production Exploreur - Communauté d'universités et établissements de Toulouse. Coordination et suivi éditorial : Clara Mauler, Hélène Pierre, Gauthier Delplace, co-conçue et réalisée par Les Voix de Traverse : Aurélien Caillaux et Lucie Combes. Ces recherches et cet épisode ont été financé·es par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR). Cet épisode est réalisé et financé dans le cadre du projet Science avec et pour la société "CONNECTS 2" porté par la Communauté d'universités et établissements de Toulouse.

Micropolluants : eau secours
18/6/2025 | 10 min
On puise au quotidien dans les ressources en eau… Se laver, nettoyer, ou encore cultiver, fabriquer… Toutes ces actions ne sont pas sans conséquence. On y laisse des traces appelées « micropolluants ». Claire Albasi, chercheuse en génie chimique, étudie de nouvelles solutions pour dépolluer l’eau dans les stations d’épuration.Réveil matin 7 heures, on se réveille comme une fleur… Qu’on soit du matin ou non, le lever est souvent associé à un passage au cabinet. Acte anodin en apparence, il contribue à rejeter de multiples molécules, plus ou moins embêtantes, dans les eaux usées. Preuve irréfutable, le taux d’azote atteint un pic… à l’heure du pipi matinal. Le pipi, qui peut contenir des traces des médicaments ingérés, n’est pas le seul responsable. On peut y ajouter d’autres gestes du quotidien : se laver, faire le ménage, désherber le jardin ou encore faire la vaisselle (dont on se passerait bien…). Toutes ces eaux usées continuent leur voyage jusqu’à la station d’épuration pour être « nettoyées » de ces polluants. Mais certains y échappent plus facilement - les micropolluants. Les stations d’épuration n’étant pas dimensionnées pour les traiter, ils se faufilent et s’infiltrent dans les fleuves et les rivières. Ne vous fiez pas à leur taille microscopique et leur faible concentration dans l’eau, ils peuvent perturber les hormones et ralentir la croissance des organismes vivants en contact avec eux. Certains d’entre eux sont très gênants - les PFAS. D’origine anthropique (du grec ancien « ánthrōpos » : « être humain »), ces « polluants éternels » s’accumulent dans l’environnement et les organismes vivants. C’est ici que Claire Albasi, chercheuse en génie chimique, entre en scène. Armée d’un « bioréacteur » composé d’une membrane (une sorte de filtre) et de bactéries, elle débarrasse l’eau de ses micropolluants. La membrane les retient, puis les bactéries, affamées par la chercheuse, les grignotent (faute de mieux à se mettre sous la dent…). Bien que cette méthode soit plus lente, elle a l’avantage d’être moins coûteuse que les procédés d’épuration déjà existants.Sur le papier ça paraît très simple, sauf que les bactéries peuvent être capricieuses. La scientifique tente de comprendre pourquoi certaines molécules sont dégradées et pas leurs voisines, et pourquoi parfois d’autres molécules polluantes sont créées après avoir été mangées par les bactéries. Pour étudier cela, elle va sur le terrain. Et pas n’importe quel terrain : la station d’épuration - un laboratoire à grande échelle où chercher des solutions afin de préserver « l’or bleu ».La solution la plus efficace et économe reste de ne pas polluer l’eau. Pas besoin de se retenir d’aller aux toilettes, il suffit simplement de consommer le Doliprane avec modération !Claire Albasi est chercheuse CNRS en génie chimique et dépollution des environnements contaminés, au sein du laboratoire de génie chimique - LGC (CNRS, Institut national polytechnique de Toulouse, Université de Toulouse).Sonar est une série et production Exploreur - Communauté d'universités et établissements de Toulouse. Coordination et suivi éditorial : Clara Mauler, Eva Bouloux et Hélène Pierre, co-conçue et réalisée par Les Voix de Traverse : Aurélien Caillaux et Lucie Combes. Cet épisode est réalisé dans le cadre de La Nuit des chercheur·es et du projet Educ'eau en partenariat avec l'Agence de l'eau Adour-Garonne.

Retour aux sources
28/10/2024 | 10 min
Depuis qu’elle coule au robinet, on oublie souvent de se préoccuper de savoir d’où vient l’eau… Angélique Van de Luitgaarden, archéologue à l’Université Toulouse - Jean Jaurès et l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), remonte jusqu’au Moyen Âge pour chercher à comprendre comment on s’approvisionnait en eau dans les villes des actuelles régions toulousaine et bordelaise.On dénombre pas mal de fontaines et puits dans les villes du Moyen Âge, dans l’espace domestique, parfois avec des usages partagés. Comment le sait-on lorsque ces infrastructures et les usagèr·es ont disparu ? Parce qu’on retrouve de nombreuses réclamations dans des actes notariés : « J’ai aidé à construire ce puits, pourtant je ne peux désormais pas en avoir l’usage… » Heureusement qu’il y a des querelles pour laisser des traces aux scientifiques !Angélique fouille donc les archives en quête de plans, de comptes-rendus de procès, d’actes notariés, elle inspecte les travaux d’autres scientifiques guettant les moindres mentions sur l'eau, et examine les voûtes d’aqueducs et les souterrains lampe torche à la main et bottes aux pieds… pour remonter le cours de l’eau dans cette sombre période qu’est le Moyen Âge...Que nenni ! À bas les clichés, autre cheval de bataille de notre jeune archéologue : redorer l’image du Moyen Âge. Les usages de l’eau y sont multiples - de la cuisine, à l’irrigation des cultures, en passant par l’artisanat et la construction, à l’image des tuileries et briqueteries toulousaines - et ingénieux, fondés sur une observation et une connaissance fines du territoire.Angélique Van de Luitgaarden est doctorante en archéologie à l’Université Toulouse - Jean Jaurès et l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), au sein du laboratoire Traces - Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés (CNRS, Université Toulouse - Jean Jaurès, Ministère de la culture, conventionné avec l’EHESS, l’INRAP et le service d’archéologie de Toulouse-Métropole).Sonar est une série et production Exploreur - Université de Toulouse (coordination et suivi éditorial : Clara Mauler et Hélène Pierre ; visuel : Delphie Guillaumé), co-conçue et réalisée par Les Voix de Traverse (Aurélien Caillaux et Lucie Combes). Cet épisode est réalisé dans le cadre de La Nuit des chercheur·es et du projet Educ'eau en partenariat avec l'Agence de l'eau Adour-Garonne. Il a été récompensé par le prix radiophonique d’écologie, catégorie création sonore, au Festival international du film d'environnement FReDD 2025.



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