Spécial - 10 ans d'ECW, le PeC, la collaboration communautaire et l'espace régalien - Parce que... c'est l'épisode 0x672!
Parce que… c’est l’épisode 0x672!
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25 et 26 février 2026 - SéQCure 2026
CfP
14 au 17 avril 2026 - Botconf 2026
28 et 29 avril 2026 - Cybereco Cyberconférence 2026
9 au 17 mai 2026 - NorthSec 2026
3 au 5 juin 2025 - SSTIC 2026
Description
Ce podcast spécial European Cyber Week met en lumière les enjeux de la cyberdéfense, de la souveraineté numérique et de la collaboration internationale à travers l’expérience d’Arnaud Coustillière, ancien amiral de la Marine nationale française.
Parcours et création de la cyberdéfense française
Arnaud Coustillière a consacré 40 années au service de l’État français dans la Marine nationale, partageant équitablement sa carrière entre le maritime et le numérique. Après avoir navigué pendant quinze ans, il est devenu directeur des systèmes d’information de la Marine avant de récupérer le dossier de création de la cyberdéfense des armées en 2009. Jusqu’en 2017, il a commandé l’ensemble de la structure de cyberdéfense française, développant une capacité qui englobe la protection, la prévention, la défense et l’action offensive dans l’espace numérique.
Cette cyberdéfense militaire se distingue des services de renseignement par son cadre juridique : contrairement à l’action secrète, l’action militaire reste discrète mais encadrée par le droit des conflits armés, le droit international humanitaire et le code pénal. Les trois dernières années de sa carrière, Coustillière a créé la direction générale du numérique du ministère des armées, passant de la défense des données à leur ouverture et à l’accompagnement de la transformation numérique.
Le Pôle d’Excellence Cyber : un pari gagnant
Depuis sa retraite, Coustillière préside le Pôle d’Excellence Cyber (PeC), une association créée il y a dix ans pour concentrer les forces de cyberdéfense françaises en Bretagne. Ce choix stratégique reposait sur trois piliers : la proximité avec Paris, l’expertise technique-opérationnelle déjà présente dans la région, et un terreau d’emplois dans les télécommunications. Le pari, considéré comme audacieux voire fou à l’époque, consistait à faire collaborer une organisation civile (l’association) avec la région Bretagne et l’État.
Le succès est aujourd’hui manifeste : l’European Cyber Week est passée de 2000 participants il y a cinq ans à plus de 8000 aujourd’hui, avec une projection de 8500 à 9000 participants. L’événement se distingue par son ADN régalien européen, un terme que Coustillière préfère à “souveraineté” car il permet de penser à l’échelle européenne tout en conservant les fonctions essentielles de l’État.
La collaboration franco-canadienne
Le PeC développe une stratégie de partenariats choisis, notamment avec le Canada, qui partage les mêmes valeurs démocratiques que l’Europe. Depuis quatre ans, une journée de l’European Cyber Week est consacrée au Canada, et la délégation canadienne est passée d’un seul participant en 2021 à environ 25 personnes aujourd’hui. Des protocoles de coopération ont été signés avec ISECOM, et un laboratoire de recherche cyber-IA est en cours de création entre les universités de Bretagne et celles du Québec (Sherbrooke, ÉTS).
L’objectif est de créer un véritable écosystème cyber franco-canadien où les entreprises des deux côtés de l’Atlantique travaillent ensemble, avec des partenariats et des offres communes. Les entreprises canadiennes peuvent participer aux appels d’offres européens si elles s’associent avec un partenaire européen.
Souveraineté numérique : un concept à repenser
Coustillière critique le terme de “souveraineté numérique” qu’il juge inadapté au monde numérique. Contrairement à la souveraineté terrestre qui définit clairement les frontières, l’espace numérique est plus complexe et comparable au maritime, où différents niveaux de droits coexistent selon la distance des côtes. Il préfère parler d’autonomie stratégique ou de résilience.
L’écosystème numérique a évolué d’un milieu technique vers un espace de conflictualité centrée sur la captation des données. L’informatique communiquante et Internet ont créé un monde où celui qui possède les données détient le pouvoir. Cette captation est restée longtemps cachée, masquée par les technologies de big data, la transformation numérique et la migration vers le cloud. Le numérique ressemble à un iceberg : visible en surface mais reposant sur des infrastructures massives (câbles, data centers, électricité) qui appartiennent souvent à d’autres.
L’impact géopolitique et le réveil européen
Le combat entre la Chine et les États-Unis pour la domination technologique place l’Europe dans une position difficile. L’arrivée du président Trump a eu un effet “salutaire” selon Coustillière, car elle traite tous les pays de la même manière, clarifiant les relations et mettant fin à l’ambiguïté. La doctrine américaine se résume à : liberté des données pour faire des affaires, et cette liberté s’arrête là où commencent leurs intérêts commerciaux.
Face à cette réalité, l’Europe doit retrouver une autonomie stratégique en faisant écosystème avec des partenaires partageant les mêmes valeurs. L’IA générative complique encore la situation en rendant impossible pour le citoyen moyen de distinguer le vrai du faux en ligne, nécessitant de nouvelles formes de certification.
Solutions concrètes : cloud souverain et résilience
Plusieurs initiatives émergent en France et en Allemagne. Les projets Bleu (Cap Gemini, Microsoft, Orange) et Sens (Thalès, Google) proposent des solutions de cloud utilisant la technologie américaine mais exploitées par des sociétés européennes, garantissant que les données restent sous cadre juridique européen. OVH représente une alternative purement européenne avec une forte présence au Canada.
Le CIGREF, qui rassemble les 150 plus grandes entreprises françaises, ne parle plus de souveraineté mais de résilience face à toutes les menaces : géopolitiques, techniques et commerciales. Cette approche implique de désoptimiser les réseaux pour avoir des architectures plus hétérogènes mais plus robustes. Certaines données, particulièrement celles des citoyens, de la santé ou des services régaliens, doivent impérativement rester sous contrôle national, même si cela implique un système moins performant.
Défis et perspectives
Le principal défi reste le lobbying massif des grandes entreprises américaines auprès de l’Union européenne et des gouvernements. Ces sociétés déploient des moyens comparables à ceux des nations pour influencer les politiques et les décideurs.
Néanmoins, un mouvement de fond s’est enclenché. Le sommet franco-allemand sur la souveraineté numérique, alors que les deux pays avaient des visions initialement opposées, démontre une prise de conscience collective. Les 18 à 24 prochains mois seront cruciaux pour concrétiser les initiatives, développer des certifications et établir une préférence européenne dans les marchés publics.
Coustillière conclut que l’écosystème doit se mobiliser pour avancer dans la même direction, malgré les forces qui tenteront de l’en empêcher. La fin de la naïveté européenne face aux réalités géopolitiques du numérique constitue peut-être l’héritage le plus important de cette période de transformation.
Collaborateurs
Nicolas-Loïc Fortin
Arnaud Coustillière
Crédits
Montage par Intrasecure inc
Locaux réels par European Cyber Week