EP 38 : ROGER VAILLAND - Etre désintéressé (La Loi, 1957)
Cet épisode est le cinquième d’une série consacrée au Grand Jeu. Il peut être écouté indépendamment des deux précédents. « Roger Vailland est mon ami, mais je ne crois pas au Diable. » Ainsi s’exprime Claude Roy dans ses Descriptions critiques. Il faut dire que Roger Vailland est l’homme de plusieurs morts. La première date du 11 mars 1929, quand le procès du Grand Jeu, et plus particulièrement du sien, est mené par André Breton qui lui reproche violemment d’avoir écrit un article élogieux à propos d’un préfet jugé réactionnaire. Au lieu de défendre leur phrère, René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte se taisent, détournent les yeux, abandonnent leur ami de toujours. C’est la fin des illusions. Désormais, Roger Vailland n’aura plus le moindre lien avec eux et sera journaliste pendant quinze ans avant que ne paraisse, en 1945, son premier roman, Drôle de Jeu. Résistant, entouré de communistes, à la libération, Roger Vailland ne parvient plus à écrire pour un journal jugé capitaliste (Paris-midi et Paris-soir). Il se tourne peu à peu vers le PCF, l’URSS, Staline et écrit désormais à propos de la condition de l’homme selon une perspective communiste. Avec Bon pied, bon œil qui parait en 1950, il dit adieu à la première partie de sa carrière, dit adieu à cette œuvre qui a, selon lui « contribué à la mystification », c’est-à-dire contribué à donner l’illusion de la liberté, et plus particulièrement la liberté de pensée, au peuple. Mais, continue-t-il « j’ai acquis la connaissance de mon métier, qui peut maintenant servir à démystifier… La volonté du peuple s’identifie au parti communiste. » C’est ainsi que Roger Vailland s’achemine vers sa seconde mort. Le 24 février 1956, lors du XXe congrès du Parti communiste d’URSS, Khrouchtchev présente un rapport secret concernant les crimes de son prédécesseur, Staline. Vailland n’y croit pas, voyage jusqu’à Moscou pour comprendre. Mais les faits sont là. Il apprend même que des écrivains comme Aragon et Elsa Triolet savaient mais se taisaient… Trahi et désabusé, lui-même mystifié, revenu de toute illusion, il part en Italie, dans les Pouilles, et trouve bientôt l’inspiration pour un superbe roman sans aucune trace de métaphysique ou de politique, roman du désintéressement par excellence, mené d’une main de maître : La Loi, qui obtiendra le prix Goncourt en 1957.Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.