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Des écologistes remarquables, portraits

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  • Carolyn Merchant, du féminisme à l’écologie
    Carolyn Merchant, philosophe, historienne des sciences et professeure d’université, est l’autrice d’un livre fondateur de la réflexion écoféministe en 1980 : La mort de la nature. Son analyse montre l’importance du genre dans l’Histoire de la science moderne et la transformation du rapport aux femmes et à la nature avec la révolution scientifique en Europe, à partir du XVIe siècle. Carolyn Merchant, née à Rochester, dans l’État de New York, en 1936, a étudié l’Histoire des sciences à l’université de Madison dans le Wisconsin. Elle enseigne l’Histoire des sciences à l’université de San Francisco puis à l’université de l’Oregon jusqu’en 1969.Dans la préface de la nouvelle édition de son livre majeur, Carolyn Merchant évoque l’été de 1975, où, en camping à Bryce Canyon, dans l’Utah, avec ses deux fils, elle médite sur « l’ironie des pierres vivantes que la science considère comme mortes », alors que pendant un long moment dans l’histoire de l’humanité, ces roches étaient considérées comme vivantes, « poussant et se reproduisant comme des animaux ». C’est là que le livre sur lequel elle travaillait depuis plusieurs années trouve son titre : The death of nature - La mort de la nature.L’écoféminisme ou la convergence des luttesDès 1959, Carolyn Merchant prend part au mouvement environnemental. Le livre de Rachel Carson Printemps silencieux, paru en 1962, qui dénonce la responsabilité du DDT dans la disparition des oiseaux et déclenche le mouvement environnemental aux États-Unis, est le premier pilier de sa réflexion.Alors qu’elle est déjà mère de famille, la jeune historienne, qui subit les difficultés d’allier carrière scientifique et responsabilités familiales, « dévore » le livre de Betty Friedman La femme mystifiée qui sort en 1963.Puis enseignante à l’université de Berkeley, en Californie, dès les années 1970, elle participe aux mouvements des droits civiques et prend conscience du rôle de la science dans la guerre américaine au Cambodge et au Vietnam.Le sous-titre de La mort de la nature est trouvé : les femmes, l’écologie et la Révolution scientifique.À l’été 1973, Carolyn Merchant écrit les trois articles fondateurs de La mort de la nature et en 1974, dans son livre Le féminisme ou la mort, la Française Françoise d’Eaubonne invente le mot d’écoféminisme.La mécanique de la natureLa thèse de Carolyn Merchant repose sur son étude de l’Histoire des sciences, et plus spécifiquement la période de la Révolution scientifique du XVIe au XVIIIe siècle en Europe, qui constitue on moment charnière de notre rapport à la Terre et à la nature.Carolyn Merchant, travaille sur les métaphores, elle étudie le langage et les textes : dans la plupart des langues, la nature est de genre féminin, et de l’antiquité jusqu’à la Renaissance, on considère que la Terre est vivante : « Non seulement la nature était-elle perçue comme étant féminine, mais la terre elle aussi, était vue de façon universelle comme une mère nourricière, sensible, vivante et réactive aux actions humaines (…) », écrit-elle. Or, on ne peut pas faire n’importe quoi à sa mère, on la respecte.Mais les pionniers de la pensée scientifique moderne, Isaac Newton, Francis Bacon, René Descartes, ont remplacé cette vision organique de la nature par une vision mécaniste : si la nature est une machine, pourquoi ne pas l’utiliser suivant nos besoins, puisqu’on peut en « remplacer les pièces ».Le poids des métaphoresCarolyn Merchant travaille sur les métaphores. La nature est comparée aux femmes, les femmes à la nature « … et ces métaphores qui lient les femmes à la nature disent aussi comment on doit se comporter avec elles », explique la philosophe Catherine Larrère. Or, passer de la conception de mère Nature à celle de nature-machine, « … à travers les métaphores qui comparent constamment les femmes à la nature – comme “pénétrer les secrets de la nature”, “terres vierges” -, ça implique d’autres rapports avec les femmes aussi », ajoute-t-elle.Carolyn Merchant démontre que cette nouvelle vision de l’homme qui domine la nature va également s’appliquer aux femmes, et qu’elle aboutira aux procès de sorcières qui tueront des dizaines de milliers de femmes en Europe à partir du XVIème siècle.À l’inverse, sous couvert de science, la nature sera elle aussi malmenée : « pour lui arracher la vérité, on peut violer la nature comme on violente une femme (…) c’est une façon de tuer ce que nous trouvons de vivant dans la nature », complète Catherine Larrère. Capitalisme contre NatureDès les années 1960, ce sont les femmes qui s’impliquent majoritairement dans les luttes environnementales : « Les questions de la santé de la reproduction, de la santé des enfants (…) du sort des générations futures, et des conséquences technologiques ont conduit les femmes à prendre une part active dans la lutte contre les centrales nucléaires (…) contre les pesticides et les herbicides et à se joindre au mouvement en faveur d’une technologie appropriée », écrit la Pr Merchant dans Earthcare : Women and the Environment, en 1996.Carolyn Merchant poursuit son analyse en démontrant que si le patriarcat mène à l’asservissement des femmes, le capitalisme est responsable, par le pouvoir de l’économie et de la technologie, de l’asservissement de la nature et des désastres écologiques. En traitant la nature par pièces détachées, le capitalisme technologique a négligé la complexité et les interconnexions. Or cette négligence aboutit aujourd’hui au réchauffement climatique et à l’extinction de la biodiversité.Une nature récalcitranteDans son livre Autonomous Nature – Une nature autonome – paru en 2016, Carolyn Merchant constate qu’en face de la nature que l’on maîtrise, il y a une nature « récalcitrante ». Cette nature récalcitrante, qui nous échappe, ce sont les événements extrêmes : inondations, pluies torrentielles ou incendies. Or si ces phénomènes incontrôlables ont toujours existé, ils sont aujourd’hui de plus en plus fréquents, intenses et sont le résultat des actions humaines.À travers ses recherches historiques, Carolyn Merchant retisse les relations de l’humain avec la nature depuis l’antiquité et met en scène l’opposition entre une nature créée par l’homme, contrôlée, et une nature une nature active, non contrôlée.L’historienne montre que depuis le XVIIIe siècle, si la science a ajouté de la complexité à la description de la nature, elle n’arrive jamais à en avoir une vision exhaustive, car connaître les éléments d’un système ne permet pas de prévoir l’intégralité du système. En conséquence, les phénomènes complexes, chaotiques, sont restés imprévisibles.Un partenariat éthiqueConstatant que nous sommes face à un échec, face à une nature devenue incontrôlable, Carolyn Merchant appelle aujourd’hui à transformer notre relation avec elle.Elle ne défend pas la mise à l’isolement d’une nature sans humain, dans des parcs clos, mais, dans l’esprit d’Aldo Leopold (écologiste précurseur du début du XXe siècle), elle propose de reconstruire une relation à double sens : il faudrait créer un nouveau partenariat entre la nature et l’humain, un partenariat fondé sur l’éthique, le respect et l’égalité, qui serait utile aux deux parties indéfectiblement liées « … car la meilleure solution, pour les communautés humaines et non humaines, c’est d’arriver à vivre ensemble, en interdépendance », expliquait-elle en 2016 lors d’une conférence à l’université de Berkeley.Le travail de Carolyn Merchant, professeure d’histoire environnementale, d’éthique et de philosophie à l’université de Californie à Berkeley depuis 1979, autrice de plus de 16 livres et 360 conférences dans les universités du monde entier, est aujourd’hui une référence en écologie sociale. Carolyn Merchant a réuni l’histoire des sciences, l’histoire sociale de la nature et l’histoire des femmes, et c’est ainsi qu’est né l’écoféminisme. En savoir plus :La mort de la nature, Carolyn Merchant, 1980, éditions Wildproject, 2021 : https://wildproject.org/livres/la-mort-de-la-natureEarthcare : Women and the Environment, Carolyn Merchant, 1996, éditions Routledge (non traduit en français)Autonomous Nature, Carolyn Merchant, 2016, éditions Routledge (non traduit en français)Bibliographie complète de Carolyn Merchant : http://www.bikingbooks.com/html/merchant.htmlPr Carolyn Merchant, Université de Berkeley : https://ourenvironment.berkeley.edu/people/carolyn-merchantPr Carolyn Merchant, conférence à l’université de Berkeley en 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=HSZuyPA5-1YArticles de Catherine Larrère sur l’écoféminisme : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2015-2-page-103.htm, https://journals.openedition.org/traces/5454Le féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne, 1974, éditions Le Passager Clandestin, 2018Le Sexocide des sorcières, Françoise d’ Eaubonne, 1999, éditions l’Esprit frappeurLa femme mystifiée, Betty Friedman, 1963, éditions Denoël, 1978Mes remerciements pour leur aide sur l’ensemble de la série à :Lionel Astruc, écrivainConstant-Serge Bounda, de l’UNEPElsa Devienne, de l’université de NorthumbriaBaptiste Lanaspèze, des éditions WildprojectSophie Patey, des éditions Actes SudAurélie Uterzi, du Musée du VivantWanjira Maathai, du World Resources InstituteLe service Archives du Yosemite National ParkLa fondation Aldo LeopoldLe service Internet de RFIEt à tous les intervenants pour leur importante contribution.Merci à Caroline Carl, Hugo Casalinho, Pierre Chaffanjon, Sylvie Koffi, Camille Marigaux, Alice Rouja et Nathanaël Vittrant, d’avoir prêté leurs voix.
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  • Élisée Reclus ou l'écologie anarchiste
    Élisée Reclus, géographe et militant anarchiste français de la fin du XIXème siècle, a été un précurseur de la géographie sociale. Communard, végétarien et féministe, écrivain prolifique, perpétuel exilé et grand voyageur, l’auteur de la « Nouvelle géographie universelle » a posé les bases de l’écologie politique. Élisée Reclus est né le 15 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande, en France, dans une famille protestante, le quatrième de quatorze enfants. Son père est pasteur et voudrait qu’Élisée suive la même voie. Mais après un passage chez les Frères Moraves en Prusse, il suit, avec son frère Elie, des études à la faculté de théologie de Montauban, dont les deux garçons seront exclus à la suite d’une fugue.C’est le premier voyage du jeune Élisée, qui perd la foi mais est séduit par les idéaux socialistes de son époque. Le jeune homme choisit finalement de partir étudier la géographie à Berlin avec Carl Ritter, l’un des fondateurs de la géographie moderne.Citoyen de la terreEn 1851, les frères Reclus sont de retour en France. Engagés politiquement pour la République, ils manifestent contre le coup d’État de Napoléon III, à la suite de quoi, menacés d’être arrêtés par la police, ils décident de s’enfuir en Angleterre.De Londres, où il vit dans la pauvreté, Élisée part en Irlande, puis aux États-Unis. Là, révolté par l’esclavage, il quitte pour l’Amérique du Sud et s’installe comme planteur en Colombie, mais il tombe malade et c’est un échec.Le jeune homme retourne en France en 1857.Sitôt rentré, Élisée Reclus reprend le militantisme, publie régulièrement dans les revues socialistes et anarchistes, et en 1864, les frères Reclus adhèrent à l’Association internationale des travailleurs – AIT, première internationale –.Pendant la Commune de Paris, en 1871, Élisée s’engage comme volontaire contre le gouvernement de Thiers et est fait prisonnier. Condamné au bannissement après 11 mois de prison, Élisée et sa famille s’installent en Suisse en 1872.Exilé politique pendant toute sa vie, Élisée Reclus s’est nourri de son exil : « C’est un citoyen de la terre, il avait des connaissances savantes extrêmement étendues, mais aussi directes, par tous les gens qu’il a croisés et la nature qu’il a observée », raconte l’historienne des sciences et de l’environnement Valérie Chansigaud.Écrivain foisonnantEntré à la Société de géographie en 1858, Élisée Reclus est désormais un géographe reconnu. À partir de 1859, il écrit des articles très appréciés pour la Revue des Deux Mondes et voyage dans toute l’Europe. Le géographe est fasciné par la beauté de la nature qu’il traverse, par les liens qu’entretiennent les humains avec leur environnement, et il écrit, raconte et dessine des cartes au fil de ses voyages.Élisée Reclus publie son premier livre en 1861, Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe, où il raconte son aventure colombienne, et en 1868, c’est au tour de La Terre, un traité de géographie générale qui décrit la vie du globe et constitue le premier volume de la trilogie qui sera composée de la Nouvelle géographie universelle et L’Homme et la terre – 27 volumes au total –.En 1875, la Nouvelle géographie universelle commence à paraître en feuilleton, et reçoit un véritable succès public : « C’est un des premiers grands ouvrages de géographie où les pays d’Europe n’ont pas la place dominante, où les continents et les régions sont présentés à leur juste place. C’était excitant de découvrir le monde synthétisé de façon brillante par un très grand géographe », déclare Valérie Chansigaud.Géographie, écologie et anarchismeChez Reclus, la géographie et l’anarchisme sont inséparables, analyse Valérie Chansigaud : « Ce qui l’intéresse c’est comment les humains, les sociétés s’organisent avec leur environnement naturel. C’est un penseur avant tout de la liberté, et la géographie est un bon cadre pour penser la liberté parce que la liberté s’inscrit toujours dans un territoire. »L’écologie n’existe pas encore, mais le géographe observe les transformations de l’environnement engendrées par le développement humain, l’agriculture industrielle et le capitalisme.Reclus n’est pas pour la préservation d’une nature sans humains mais la qualité de vie dépend de nos choix de société. Dans L’Homme et la terre, il écrit : « L’Homme vraiment civilisé aide la terre au lieu de s’acharner brutalement contre elle ; il apprend aussi comme artiste, à donner aux paysages qui l’entourent plus de grâce, de charme ou de majesté. Devenu la conscience de la terre, l’homme digne de sa mission assume par cela même une part de responsabilité dans l’harmonie et la beauté de la nature environnante. »Une philosophie de la natureÀ l’aide de ses vastes connaissances en histoire et géographie, mais aussi en botanique et en géologie, Élisée Reclus est l’auteur de la première œuvre de géographie « totale ». Il est également l’un des premiers à avoir structuré la pensée de notre rapport à la planète, une pensée d’écologie politique avant l’heure, qui s’inscrit toujours dans une perspective de progrès social.Élisée Reclus meurt en Belgique le 4 juillet 1905. Anarchiste et libertaire de toujours, le précurseur de la géographie sociale a peu enseigné, sa pensée n’a donc pas engendré de filiation directe dans les mouvements politiques et écologistes, jusqu’à ce que son œuvre impressionnante soit redécouverte par les mouvements libertaires des années 1970.Et si les trois livres majeurs du géographe s’ouvrent avec la description de la Terre « petite sphère perdue dans l’espace », ce n’est pas un hasard. Par cette vision d’une planète « finie », Élisée Reclus incite à imaginer un autre rapport au monde et à la nature : « L’Homme, c’est la nature prenant conscience d’elle-même », écrira-t-il dans Les mémoires d’un révolutionnaire. En savoir plus :Voyage dans la Sierra Nevada de Sainte Marthe, Élisée Reclus, 1861, éditions Pédelahore, 2015Histoire d’un ruisseau, Histoire d’une montagne, Élisée Reclus, 1869, éditions Arthaud, 2017L’évolution, la révolution et l’idéal anarchique, Élisée Reclus, 1897, éditions Lux, 2019 L’œuvre majeure d’ Élisée Reclus :La Terre (2 vol.), description des phénomènes de la vie du globe, 1868 – 1869La Nouvelle géographie universelle (19 vol.), 1876 – 1894L’Homme et la Terre (6 vol.), 1905 – 1908Existe en version électronique librement accessible (avec de nombreux autres textes de Reclus) sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France : https://gallica.bnf.frÉlisée Reclus ou la passion du monde, Hélène Sarrazin, éditions La Découverte, 1985Élisée Reclus, géographie et anarchie, Philippe Pelletier, éditions Libertaires, 2009Valérie Chansigaud : https://www.valerie-chansigaud.fr
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  • Arne Næss, le philosophe alpiniste qui inventa «l'écologie profonde»
    Arne Næss, philosophe norvégien, héritier de Gandhi et de John Muir, a donné à l’écologie sa première expression philosophique en fondant le mouvement de l’Écologie profonde, un mouvement qui a influencé durablement l’écologie contemporaine. Arne Næss, amoureux inconditionnel de la montagne et alpiniste émérite, a puisé dans cette nature rude et sauvage l’essence même de sa philosophie. L’appel de la montagneArne Næss, né en 1912, a grandi sur une haute colline près d’Oslo, en Norvège. Dès son plus jeune âge, il explore les montagnes qui l’entourent et découvre le plateau du Hallingskarvet :  « … quand j’avais 10 ou 11 ans, je grimpais sur cette montagne et je la voyais comme une sorte de père, grand et bienveillant… il y a une forme d’équilibre sur cette grande et superbe montagne (…) pour moi, elle était vivante, alors j’ai pensé que la meilleure chose à faire, ce serait de vivre sur la montagne elle-même. »À 13 ans, Arne Næss escalade son premier sommet – le Smiubaeljen, 1916 m -  avec un ami. Dans ses entretiens avec le musicien américain David Rothenberg, il raconte qu’en découvrant les sommets qui l’entourent, au fur et à mesure de l’ascension, « l’idée folle » d’escalader tous les plus hauts sommets de Norvège lui est venue ; un exploit qu’il réalisera entre 16 et 17 ans, et cette passion le conduira à être, en 1950, le premier norvégien à parvenir au sommet du Tirich Mir – 7 708 m - dans l’Himalaya.Jamais, Arne Næss ne pensera cette relation avec la montagne comme une compétition ou une confrontation, mais plutôt comme la joie de faire corps avec un environnement immensément libre : « …plus nous nous sentons petits auprès des montagnes, plus nous avons de chance de participer à leur grandeur ».Psychanalyse et philosophieLe jeune homme étudie la philosophie à l’université d’Oslo et en 1933, il part à Vienne, en Autriche où, décidant que pour enseigner la philosophie, il faut d’abord se connaître soi-même, il entreprend une psychanalyse avec un collègue de Freud.Outre le norvégien, Arne Næss apprend l’anglais, l’allemand et le français, et grâce à sa formation en philosophie classique, il lit Spinoza dans le texte. Le philosophe du XVIIè siècle, pour qui la raison ne doit pas occulter les sentiments, conduit le jeune alpiniste à « écouter son ventre » face à la montagne pour ne pas prendre de risques inutiles. Et sous son influence,  il repense la relation entre l’humain et la nature : « Spinoza parle de l’infinité des êtres et de l’infinité des relations possibles entre eux », construisant les prémices de son écologie profonde – en anglais Deep ecology -.Et en 1937, à 25 ans, Arne Næss réalise le rêve de son enfance : il se lance dans la construction d’un refuge en bois et en pierre sur le haut plateau montagneux de Hallingskarvet à 2000 m d’altitude, entre Oslo et Bergen.La cabane des pierres croiséesTvergastein, « la cabane des pierres croisées », ainsi nommée par le jeune homme qui est fasciné par les cristaux de quartz incrustés dans les pierres qui l’entourent, se trouve à 5h de train d’Oslo puis 3h d’ascension à partir du hameau d’Ustaoset, où la famille Næss passait ses vacances.Dans un paysage austère et rude, cette cabane solitaire de 8 mètres sur 5 est pour Arne Næss le refuge silencieux idéal, où la réflexion et la pensée philosophique peuvent s’épanouir au contact de la nature sauvage.Au refuge, le confort est spartiate : un réchaud pour manger, quelques bougies, des couvertures, un magnétophone pour écouter de la musique et beaucoup de livres. L’été, le philosophe boit l’eau des ruisseaux, l’hiver, il fait fondre la neige.Mais mener une vie simple, loin de l’abondance, n’implique pas de souffrir : « à Tvergastein, il est toujours permis de déguster un whisky, d’écouter de la musique et d’apprécier la compagnie d’un bon ami » relate Mathilde Ramadier dans le livre qu’elle a consacré au philosophe, Arne Næss, penseur d’une écologie joyeuse.La retraite est propice à l’étude et c’est là qu’Arne Næss, influencé dès 1931 par la pensée non-violente de Gandhi, apprendra à lire le sanscrit. Mais le philosophe à la curiosité insatiable fait aussi de Tvergastein un « institut de pétrologie, de zoologie et de botanique, pour le plaisir » racontera-t-il à David Rothenberg.Vivre en phase avec ses convictionsProfesseur de philosophie à l’université d’Oslo à partir de 1939, réputé pour son excentricité et sa joie de vivre, Arne Næss est apprécié de ses étudiants. Entre des conférences universitaires dans le monde entier et sa passion pour l’alpinisme, le philosophe est un grand voyageur, mais il monte à Tvergastein dès qu’il le peut, et il passera au total une douzaine d’années dans son refuge où il élaborera sa théorie de l’Écologie profonde.En 1943, alors que la 2nde Guerre Mondiale secoue l’Europe, les nazis, qui considèrent l’université d’Oslo comme un foyer de rébellion, s’apprêtent à rafler les étudiants pour les envoyer en camps de concentration. Arne Næss est alors contacté par la résistance pour les prévenir mais les jeunes Norvégiens n’auront pas le temps de s’enfuir et beaucoup seront faits prisonniers. A la suite de cet évènement, le philosophe s’engage dans les services secrets alliés.Arne Næss, qui a toujours voulu vivre au plus près de ses convictions, quitte sa chaire de philosophie à l’université d’Oslo en 1969 pour se consacrer au militantisme écologique. Influencé notamment par Rachel Carson et son livre Printemps silencieux sur le rôle du DDT dans la disparition des oiseaux, il se lance dans la politique en soutenant les Verts norvégiens et participe à de nombreuses luttes écologistes et non-violentes en Norvège.En 1973, le philosophe écrit l’article fondateur de l’écologie profonde et en 1988, il deviendra le premier secrétaire de l'ONG Greenpeace en Norvège.Écologie profonde contre écologie superficielleDans son article Deep Ecology - « L’écologie profonde » - Arne Næss propose une plateforme en huit points fondamentaux qui ne sont pas des directives, mais plutôt des guides dont chacun peut s’inspirer.Le philosophe propose de décentrer notre regard d’humain supérieur aux autres espèces : « il met en avant la valeur des vies non humaines, qu’il faut considérer en dehors de leur utilité :  les espèces non humaines ne constituent pas un réservoir dans lequel l’humain peut puiser suivant ses besoins », explique Mathilde Ramadier. Au sein de l’écosystème – dont l’humain est partie prenante - la diversité des formes de vie, leur complexité et la complexité des relations qu’elles entretiennent, leur confère une valeur intrinsèque que l’humain n’a pas le droit de réduire pour satisfaire ses besoins s’ils ne sont pas vitaux.L’ écologie profonde s’oppose à l’écologie superficielle, au greenwashing et au néolibéralisme vert qui vise à préserver les ressources pour favoriser le développement des pays riches : « l’écologie superficielle consiste à ne rien changer à son mode de vie puis à trouver des solutions “pansements” ; l’autre implique au contraire de vivre de telle façon que nous laissions un héritage digne de ce nom à nos enfants, c’est à dire d’une façon naturelle, en laissant une planète le plus indemne possible. » Mais sans oublier pour autant de jouir de la vie.Arne Næss, qui a donné à l’écologie sa première expression philosophique, décèdera à 96 ans en 2009. En savoir plus :L’écologie profonde, Arne Næss,1973, éditions PUF, 2021Arne Næss, vers l’écologie profonde, entretiens avec David Rothenberg, 1992, éditions Wildproject, 2017Une écosophie pour la vie. Introduction à l’écologie profonde, Arne Næss, éditions du Seuil, 2017Arne Næss, penseur d’une écologie joyeuse, Mathilde Ramadier, éditions Actes sud, 2017Et il foula la terre avec légèreté, textes : Mathilde Ramadier, dessins : Laurent Bonneau, 2017, éditions FuturopolisThe call of the mountain / L’appel de la montagne, 1997, documentaire de Jan van Boeckel /Printemps silencieux, Rachel Carson, 1962, éditions Wildproject, 2020
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  • Vandana Shiva, l’écoféminisme contre la pauvreté
    Depuis un demi-siècle, la militante indienne, écoféministe et altermondialiste Vandana Shiva se bat pour aider les paysans des pays du sud à sortir de la pauvreté. Un combat qui passe par la sauvegarde de la biodiversité et l’émancipation des femmes. « J’ai grandi dans la forêt », raconte Vandana Shiva, « la forêt, c’est mon « professeur de nature » et j’ai réalisé que non seulement, elle est belle, mais qu’en plus c’est notre moyen de subsistance ! »Fille de forestier, Vandana Shiva est née en 1952 dans l’Uttarakhand, au nord de l’Inde, et a grandi dans les forêts de l’Himalaya. Son grand-père, engagé pour défendre l’éducation des filles, meurt des suites d’une grève de la faim pour défendre l’école du village.Dans les années 70, la jeune femme suit des études de physique théorique. Alors qu’elle se prépare à partir à l’université de Western Ontario, au Canada, pour son doctorat en philosophie des sciences, elle découvre que « …(sa) forêt favorite, peuplée de chênes centenaires, avait été quasiment rasée par les bûcherons ». Vandana Shiva rejoint alors le mouvement des femmes Chipko, qui lutte contre la déforestation par la non-violence, en protégeant les arbres de leurs corps.En 1982, la jeune docteur Shiva crée la Fondation pour la recherche scientifique, technologique et les ressources naturelles – Research Foundation for Science, Technology and Natural Resource Policy -.Inde, 1984, une année sombreVandana Shiva est alors au Penjab, où la révolution verte et l’intensification de l’agriculture ont été implantées dans les années 60. Elle rencontre des paysans criblés de dettes, sur des terres rendues stériles par l’agriculture intensive. Quand la nuit du 3 décembre, une fuite à l’usine de pesticides de l’entreprise américaine Union Carbide à Bhopal, intoxique et tue des milliers de personnes, elle s’interroge : « J’ai voulu comprendre pourquoi on pratique une agriculture qui tue des milliers de gens. J’ai cherché des solutions et je me suis tournée vers l’élevage non violent et l’agroécologie ». La militante part à Bhopal soutenir les femmes qui se battent pour la justice, puis au Kérala, où les femmes, encore une fois, mènent une lutte – victorieuse -  contre l’usine Coca-Cola qui vide la nappe phréatique au détriment de l’agriculture, pour vendre du soda en bouteilles.Son activisme l’emmène dans toutes les régions de l’Inde où l’agriculture industrielle sévit, et elle raconte que partout, elle constate la même chose : les femmes, responsables de l’alimentation dans les familles, sont les premières touchées par la pauvreté.Les OGM, prison des paysansEn mars 1987, Vandana Shiva accompagne sa sœur à un séminaire sur la génétique et le vivant, en Haute-Savoie, en France, qui réunit des experts de 19 pays. Pour son biographe, Lionel Astruc, c’est le moment le plus important de sa vie : « Elle a compris, en se mêlant aux conversations, qu’on allait faire du marché des graines un marché captif, que les brevets allaient prendre le contrôle sur le vivant et s’approprier les semences, fruits de siècles de sélection paysanne ».L’analyse de Vandana Shiva est implacable : si les entreprises américaines veulent breveter des plantes que les Indiens récoltent et utilisent depuis des siècles - comme le neem ou le riz basmati -, c’est pour pouvoir les modifier via les biotechnologies, puis revendre aux paysans les semences OGM - non reproductibles - et les herbicides associés, comme le glyphosate. C’est la construction d’un cercle vicieux qui va emprisonner les paysans indiens.La militante prend alors son bâton de pèlerin et parcourt les villages indiens pour informer les paysans et commence à conserver des graines. En parallèle, elle s’implique au niveau international pour une législation qui contrôle le brevetage du vivant.Les graines de la libertéVandana Shiva a une idée : pour que les semences restent entre les mains des fermiers, il faut constituer des banques de graines communautaires, des bibliothèques où conserver les semences vivantes.En 1991, elle crée le réseau de banques de graines Navdanya et un centre de formation agricole : « Navdanya signifie les 9 graines ensemble » explique la militante, « ensemble pour la biodiversité mais c’est aussi le nouveau cadeau, celui des biens communs, parce que les brevets et la propriété intellectuelle veulent privatiser les connaissances communes du savoir indigène ».  En 1993, le prix Nobel alternatif – Rights Livelihood Award – est décerné à Vandana Shiva « pour avoir mis les femmes et l’écologie au cœur du développement moderne ».La militante altermondialiste se souvient que lors de la crise du coton de 2009, dans le Maharashtra, « les fermiers étaient devenus dépendant du coton OGM, mais ça ne marchait pas parce qu’il ne résistait pas aux fortes pluies ». En face, les paysans de Navdanya, qui avaient planté des graines de coton bio, résistant aux inondations, « n’ont pas eu le crash du coton que les fermiers OGM ont subi », affirme-t-elle.► À écouter aussi : «la biodiversité est un bien commun»L’écoféminisme, une avancée majeureDans son livre Qui nourrit réellement l’humanité (2015) Vandana Shiva veut démontrer l’affrontement de deux paradigmes alimentaires : d’un côté, les lois de la domination et de l’exploitation, ancrées dans la violence et la guerre, de l’autre, la perspective d’une agroécologie et d’une économie vivante fondées sur la réciprocité.Contre l’agriculture industrielle mondialisée, qui est, pour la militante féministe, une construction pyramidale du pouvoir des hommes, cette économie de la réciprocité pourra se développer grâce au combat écologique mené par les femmes.Pour Lionel Astruc, auteur d’entretiens croisés entre Vandana Shiva et Nicolas Hulot, Le cercle vertueux, la convergence des luttes est au cœur du combat : « En un demi-siècle de militantisme et d’activisme, elle a montré sa capacité de synthèse en réunissant les luttes sociales et écologistes, et son intuition de mettre l’écoféminisme au cœur du combat a été une avancée majeure ».Écologie et non-violenceAlors que le sérieux de son travail est mis en doute par les promoteurs des OGM, qu’elle est régulièrement menacée en retour de ses prises de positions radicales, Vandana Shiva assume une lutte inspirée des principes de « non-violence » et de « vérité » hérités de Gandhi, qui se traduisent par la désobéissance civile, la formation et la communication.Autrice, en 2019, de l’essai 1% Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches, la militante écoféministe, qui analyse la crise sanitaire du Covid comme la conséquence de l’économie mondialisée et de la destruction de l’environnement, plaide pour la décroissance et la restauration de l’harmonie avec la nature, dans une éthique du care - prendre soin de la société, de l’humain et de l’environnement –.Et quand on lui demande de résumer un demi-siècle d’activisme, Vandana Shiva répond : « je sauvegarde les graines et la biodiversité, je fais des recherche en agriculture, je travaille avec les fermiers pour qu’ils ne contractent pas de dettes, qu’ils protègent les sols et la biodiversité, pour que chacun ait de quoi manger… et quand c’est nécessaire, je surveille ce que font Monsanto et Bill Gates parce qu’ils œuvrent dans le mensonge et la violence ».En savoir plus :1% Reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches, Vandana Shiva, 2019, éditions Rue de l'EchiquierQui nourrit réellement l’humanité ?, Vandana Shiva, 2015, éditions Actes Sud, 2020Le cercle vertueux, Nicolas Hulot, Vandana Shiva, entretiens avec Lionel Astruc, éditions Actes Sud, 2018Ecoféminisme, Vandana Shiva, Maria Mies, 1999, éditions de l’HarmattanÉthique et agro-industrie, Main basse sur la vie, Vandana Shiva, éditions de l’Harmattan, 1996Le réseau Navdanya : http://www.navdanya.org/site/ The right livelihood prize : https://rightlivelihood.org/what-we-do/the-right-livelihood-award/ https://rightlivelihood.org/the-change-makers/find-a-laureate/vandana-shiva/  
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  • Aldo Leopold, l'homme qui pensait comme une montagne
    Forestier, naturaliste, universitaire, écrivain et grand défenseur de la nature sauvage dans la première moitié du XXe siècle, Aldo Leopold est considéré comme l’un des pères fondateurs de la gestion et de la protection de l’environnement aux États-Unis. Écrivain prolifique et visionnaire, un livre, L’Almanach d’un comté des sables, publié après sa mort, en a fait l’un des grands penseurs de la nature. Né dans l’Iowa le 11 janvier 1887, d’origine prussienne et flamande par sa famille, émigrée aux États-Unis à la moitié du XIXe siècle, Aldo Leopold grandit dans les champs, au bord des ruisseaux. Son père l’emmène à la chasse, mais cela n’empêche pas le jeune garçon de se passionner pour l’ornithologie et il commence à exercer ses talents de naturaliste en dessinant les oiseaux.Le jeune homme entame en 1905 des études de sylviculture à l’Université de Yale, où il obtient sa maîtrise en 1909. Il entre alors au service des Eaux et Forêts, pour lequel il travaillera à la gestion des forêts du Sud-Ouest des États-Unis – Arizona, Nouveau-Mexique – jusqu’en 1928.Quand l’élevage tue les forêtsEn 1911, le jeune homme gère la forêt de Carson au Nouveau-Mexique, traversée par le Rio Grande. La forêt est envahie par les ovins élevés industriellement dans la région et le surpâturage qui détruit le sous-bois, provoque l’érosion de la terre.À partir de la Seconde Guerre mondiale, le service forestier décide que les troupeaux doivent occuper les forêts au maximum de la charge et lance le projet de transformer le Grand Canyon en parc à touristes – une douzaine d’hôtels, un tramway, des milliers de cottages. Plus tard, Leopold regrettera d’avoir à participer à ce projet.À partir de 1918, Aldo Leopold supervise le contrôle des incendies, les infrastructures, les loisirs, la gestion forestière et le pastoralisme sur 80 000 km carrés de terres fédérales dans le sud-ouest des États-Unis. Il constate une fois encore les méfaits causés par le surpâturage à grande échelle. Chasseur depuis son enfance, Aldo Leopold se consacre, en 1926, à une étude sur la situation du gibier, pour le compte de fabricants d’armes de chasse.La forêt, ressource spirituelleDans son livre Aldo Leopold, un pionnier de l’écologie, l’écologue et spécialiste des forêts Jean-Claude Génot le présente comme un forestier hors du commun : « Il conçoit la forêt comme pourvoyeur de biens matériels, mais aussi, idée très nouvelle peu répandue à l’époque, comme une source de bien-être psychologique et spirituel ».Dans cette région où l’esprit des pionniers règne encore, le forestier défend un usage pluriel des terres et des forêts, mais demande à l’État de préserver quelques hectares de forêt originelle afin « d’éduquer le grand public », écrit-il dans un article.Spécialiste des forêts, grand connaisseur de la faune et de la flore, Aldo Leopold préconise d’entretenir les forêts par des coupes sélectives, mais c’est la vision industrielle de la forêt, avec ses coupes rases, qui prévaudra, et il quittera en 1928 le service des Eaux et Forêts pour se mettre à son compte comme consultant.Une flamme verte Lors d’un déjeuner en montagne, Aldo Leopold et un collègue des Eaux et Forêts tuent une famille de loups. Seule survit la louve, mortellement blessée : « Nous atteignîmes la louve à temps pour voir une flamme verte s’éteindre dans ses yeux. Je compris alors, et pour toujours, qu’il y avait dans ces yeux-là quelque chose que j’ignorais, et que la montagne et elle étaient seules à connaître… » relatera-t-il en 1944 dans Penser comme une montagne.Alors que, chasseur, il a participé à l’extermination des prédateurs et des loups en particulier, cet événement pousse Aldo Leopold à penser différemment.Au cours de ses pérégrinations dans les forêts de l’Ouest, Aldo Leopold constate que quand il n’y a plus de prédateurs, les cerfs pullulent et détruisent le sol des forêts : exterminer les prédateurs n’est donc pas une bonne idée, ils jouent un rôle actif dans l’équilibre et la protection de la nature. En 1931, le rapport d’enquête sur le gibier qu’il publie propose de nombreux changements dans la gestion de la faune, « qui sont peu écoutés mais lui valent le respect de la communauté de la conservation », écrit Jean-Claude Génot.En pleine natureÀ partir de 1913 déjà, Aldo Leopold pensait nécessaire de protéger des forêts sauvages, la « wilderness » – nature à l’état sauvage, non traduit en français – ; où l’on peut vivre une « aventure », dans la continuité des pionniers de la Conquête de l’Ouest. Et en 1924, son combat porte ses fruits : la forêt de Gila, au Nouveau-Mexique, est désignée première aire de wilderness, 60 ans avant le Wilderness Act – 1964 –, la loi qui intègrera ces espaces protégés sous responsabilité fédérale.En 1933, Aldo Leopold commence une carrière d’enseignant comme professeur de gestion du gibier à l’Université du Wisconsin, où il est responsable de l’arboretum. Et en 1935, la famille Leopold acquiert une ferme abandonnée qu’elle baptise the Shack – la Cabane –, près de la rivière Wisconsin, sur d’anciennes terres agricoles dégradées.Dès lors, la famille – Aldo, sa femme, Estella et leurs enfants – y passe tout son temps libre. Chacun y trouve une passion : Estella Leopold sera championne de tir à l’arc du Wisconsin cinq ans de suite.Recréer la forêtDans ses articles, pendant ses cours, Aldo Leopold propose des méthodes de gestion de l’environnement et de restauration des terres dégradées ; la cabane est le lieu où il va pouvoir les mettre en pratique.Au printemps 1936, la famille décide de reboiser le sol dénudé qui entoure la cabane. Dès lors, tous les ans, entre 1 000 et 2 000 arbres – pins jaunes, épinettes rouges et autres essences – seront plantés, avec des résultats variables suivant les années, mais c’est finalement un succès : la famille a recréé une forêt autour de la cabane.Au mois d’avril 1948, après un hiver qui a été sec et un printemps chaud, un incendie se déclare dans la forêt et le feu se rapproche dangereusement de la cabane. Les voisins et toute la famille Leopold se précipitent pour l’éteindre. Alors qu’il actionne la pompe à incendie, Aldo Leopold est foudroyé par une crise cardiaque, en pleine action pour protéger sa forêt ; il a 61 ans.Penser globalLe livre le plus célèbre d’Aldo Leopold, l’Almanach d’un comté des sables, est encore aujourd’hui un texte de référence sur l’écologie. Son fils le publiera en 1949, un an après sa mort.L’Almanach raconte, non sans humour, des années d’observation de la nature et de réflexion sur la relation que l’auteur et la société entretiennent avec elle.Il a vu la nature se déséquilibrer, l’environnement se dégrader avec l’industrialisation de l’agriculture et du tourisme : « Tout comme le vent et les couchers de soleil, les êtres sauvages faisaient partie du décor jusqu’à ce que le progrès se mette à les supprimer. Nous sommes maintenant confrontés à la question de savoir si un "niveau de vie" encore plus élevé justifie son prix en êtres sauvages, naturels et libres », écrira-t-il dans la préface.Pour Jean-Claude Génot, une phrase pourrait résumer la pensée d’Aldo Leopold : « Penser comme une montagne, une métaphore pour dire qu’il faut penser en écosystèmes, penser "global" pour ne pas déséquilibrer la nature (…) il anticipait la sixième extinction de la biodiversité qui est en cours, c’était un visionnaire. »En savoir plus :• Almanach d’un comté des sables, Aldo Leopold, 1949, éditions Flammarion, 2000• L’Éthique de la terre, Penser comme une montagne, Aldo Leopold, 1933, éditions Payot, 2019• Aldo Leopold, la conscience écologique / articles / éditions Wildproject, 2013• Aldo Leopold, un pionnier de l’écologie, Jean-Claude Génot, éditions Hesse, 2019• Fondation Aldo Leopold• Forêt nationale de Gila• Wilderness Society
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À propos de Des écologistes remarquables, portraits

Personnalités hors du commun, ces lanceuses et lanceurs d’alerte clairvoyants et visionnaires ont influencé durablement la pensée écologique. Qu’ils et elles soient biologiste, forestier, écrivain, philosophe ou agronome et quelle que soit leur nationalité, ce sont des amoureuses et des amoureux de la nature qui ont forgé leur réflexion critique sur le terrain, remis en cause les modèles de développement destructeurs de l’environnement et proposé des alternatives nécessaires à la survie de l’humanité : protéger la nature nous garantira la chance de vivre avec elle le plus longtemps possible. Esprits brillants et engagés au cours du XXe siècle, chacun d’eux a transformé de façon durable l’écologie, son histoire, et sa relation à la politique et à la société. 
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