Hors-série – Entretien avec le Pr. Amos Goldberg
03/11/2025
Le Pr. Amos Goldberg, est historien, spécialiste de la Shoah et des génocides. Juif, Israélien, il est l’un des premiers (dès avril 2024) à avoir accusé son pays de commettre un génocide dans la bande de Gaza. Cet entretien a été réalisé en mai 2025. Depuis, plusieurs autres universitaires israéliens, ainsi que des ONG israéliennes, internationales, et une commission d'enquête de l'ONU, en sont venus à la même conclusion que lui. Mais en Israël sa voix reste minoritaire. Historien reconnu de la Shoah et spécialiste des génocides à l’Université hébraïque de Jérusalem, le Pr. Amos Goldberg explore dans cet épisode spécial la manière dont Israël se pense et se raconte à travers la mémoire de l’Holocauste. À travers son analyse, il met en lumière un paradoxe : cette mémoire, pourtant essentielle à l’identité israélienne, peut aussi devenir un obstacle à l’autocritique et à la reconnaissance de la souffrance palestinienne. En avril 2024, Amos Goldberg fut l’un des premiers universitaires israéliens à accuser son propre pays de commettre un génocide à Gaza. Ses prises de position ont déclenché un débat intense au sein de la société israélienne et de la communauté scientifique internationale. Dans cet entretien exclusif réalisé en mai 2025, il revient sur la puissance symbolique de la mémoire de la Shoah, et sur la façon dont elle influence encore aujourd’hui la politique israélienne et la perception du conflit israélo-palestinien. Les Juifs israéliens ont tendance à penser qu'un génocide doit forcément ressembler à l'Holocauste. Et c'est la même famille de crimes. Mais ce qui se passe à Gaza, c'est complètement conforme à la définition de l'ONU dans la Convention pour la prévention du génocide de 1948. — Professeur Amos Goldberg Comment Israël construit son propre récit ? Pour Amos Goldberg, le récit national israélien s’est forgé autour d’une mémoire sélective : il estime que l’institution Yad Vashem, pilier de la mémoire de la Shoah, insiste sur la singularité de l’Holocauste, positionnant Israël comme la première victime de l’Histoire. Cette logique, selon lui, empêche la reconnaissance d’autres tragédies, en particulier la Nakba, effacée du récit officiel et absente du système éducatif israélien. Ainsi, l’État se raconte à travers une mémoire univoque, où le passé justifie souvent le présent. Nous ne pensons qu'à nous-mêmes. On ne mentionne même pas d'autres génocides. Et quand vous regardez l'exposition, elle mentionne à peine les autres victimes de la Seconde Guerre mondiale, les victimes autres que les Juifs. — Pr. Amos Goldberg Reconnaître une souffrance commune Au cœur de sa réflexion, une question centrale : peut-on reconnaître la souffrance de l’autre sans renoncer à sa propre mémoire ? Pour le Professeur Amos Goldberg, la hiérarchisation des douleurs – où le malheur juif devient suprême – freine toute possibilité de dialogue et nourrit une justification implicite de la guerre. Il plaide pour un partenariat égalitaire entre Israéliens et Palestiniens, fondé sur la reconnaissance mutuelle et la justice partagée. Cette société ne reconnaît pas le récit palestinien. Faire partie de cette société criminelle, nationaliste et chauviniste, c'est dévastateur parce que c'est dans votre famille, dans la société, c'est quand vous faites vos courses, c'est avec vos voisins, vos étudiants, c'est partout. Je crois en un partenariat égalitaire, un partenariat politique et civil égalitaire avec les Palestiniens. — Pr. Amos Goldberg Une voix minoritaire, un débat essentiel Alors que plusieurs ONG et chercheurs internationaux partagent désormais son analyse, la voix du Professeur Amos Goldberg demeure minoritaire en Israël. Cet entretien offre un regard inédit sur la manière dont la mémoire du passé éclaire – ou obscurcit – la lecture du présent. Entre responsabilité historique et regard critique, il interroge la place de la Shoah dans la conscience nationale et la difficulté d’un pays à se penser autrement que comme victime.
7. Face à Gaza, la rupture du 7 octobre 2023
03/11/2025
Le 7 octobre 2023 a marqué un point de rupture. Les attaques du Hamas en territoire israélien ont fait vaciller la confiance d’un pays dans sa capacité à protéger ses propres citoyens. Dans cet ultime épisode, nos trois anciens correspondants reviennent sur ce point de bascule et ses répercussions : villes désertées, communautés meurtries, colère et sidération face à l’impuissance de l’État. Au fil des témoignages, on mesure comment ce choc a bouleversé les Israéliens, mais aussi ravivé les fractures autour de Gaza, du camp de la paix ou encore du rapport à l’Holocauste. Un épisode qui interroge sur l’avenir d’Israël, entre douleur, peur et quête obstinée de sécurité. Le 7 octobre 2023 a marqué un tournant majeur pour Israël. Ce jour-là, les attaques du Hamas en territoire israélien provoquent un traumatisme collectif sans précédent, ébranlant la confiance d’un pays dans sa capacité à protéger ses citoyens. Entre peur, colère et effroi, cet événement a mis en lumière les fractures profondes d’une société déjà sous tension. Comment un État qui se veut invincible a-t-il pu être surpris de cette manière ? Et surtout, que devient une nation lorsque la peur devient le moteur de la feuille de route politique ? On arrive ici très vite pour faire les premiers reportages. Il y a ce témoignage d'une Israélienne qu'on pourrait traduire par “nous sommes des mouches pour ce pays”. Parce qu’il y a la sidération, il y a l'effroi et il y a le sentiment d'abandon. Ce pays, qui a été fondé pour protéger le peuple juif, échoue ce jour-là à protéger ses citoyens. — Sami Boukhelifa, envoyé spécial permanent de RFI à Jérusalem de 2020 à 2025. L’écho de l’attaque : une société bouleversée Plus de deux ans après les attaques du Hamas, la société israélienne reste profondément marquée. Les traces de ce jour ne sont pas seulement visibles sur les murs ou dans les chiffres, mais dans les esprits, les discours et les regards. La violence du conflit a ravivé des inégalités préexistantes et a redéfini le rapport entre Israéliens et Palestiniens. À Gaza, les habitants vivent au rythme des décisions militaires, dans un enfermement permanent. De l’autre côté, en Israël, la sécurité est devenue une obsession, symbole d’une peur collective enracinée dans le quotidien. Ce sont deux mondes qui se regardent sans réellement se voir, deux réalités séparées par la douleur et la méfiance. Dans le monde entier, les gens ont choisi un camp après le 7 octobre. Nous voulons que vous choisissiez un camp, mais nous voulons que vous choisissiez le camp des gens qui vivent en Israël-Palestine. Car nous ne sommes pas notre gouvernement, nous ne sommes pas nos dirigeants et nous exigeons et nous voulons la fin des guerres. Nous voulons un endroit où chacun d'entre nous peut vivre en paix et prospérité. — Rula Daoud, co-présidente de Standing Together. Le choc du 7 octobre et ses répercussions Cet épisode de Carte d’Identités : Israéliens plonge dans le vécu d’une société secouée par le doute. Les témoignages d’habitants de Tel-Aviv, de militants pacifistes ou d’universitaires révèlent un pays meurtri, partagé entre douleur, peur et quête de sécurité. Les journalistes explorent les villes désertées, les communautés endeuillées, les colères retenues et l’impuissance d’un État face à la violence. Le 7 octobre 2023 a bouleversé le rapport à Gaza, redéfini la perception de la paix et transformé la manière dont les Israéliens se perçoivent eux-mêmes. Cet épisode propose un regard profond sur un pays en crise, confronté à ses blessures, à la fragilité de son unité et à l’incertitude de son avenir. Avec : Oren, habitant de Tel-Aviv, rencontré lors des célébrations de la fête nationale israélienne. Rula Daoud, co-présidente de Standing Together, le plus grand mouvement populaire de Palestiniens et de Juifs pour la paix. Hanna Yablonka, historienne, professeure à l’Université Ben Gourion du Néguev.
6. Yerida, la recherche d’un nouveau refuge
03/11/2025
Quitter Israël a longtemps été perçu comme une trahison. En hébreu, le mot yerida – la « descente » – s’oppose à l’alya, la « montée » vers la Terre promise. Mais certains Israéliens ne reconnaissent plus leur pays. Face à un tournant perçu comme autoritaire dans la pratique du pouvoir, l’espoir de changer les choses diminue, poussant de plus en plus d’Israéliens à partir. L’Europe souvent, les Etats-Unis également redeviennent des destinations possibles. Mais sans forcément rompre tous les liens avec Israël. Quitter Israël a longtemps été perçu comme un acte de trahison. Pourtant, aujourd’hui, de plus en plus d’Israéliens ne reconnaissent plus leur pays : face à un pouvoir jugé autoritaire, à la montée des divisions internes et à l’effritement de l’espoir politique, certains choisissent désormais de partir. L’Europe et les États-Unis deviennent à nouveau des terres d’accueil, sans pour autant que ces nouveaux exilés ne rompent totalement le lien avec Israël. Pour Ruth Rosenthal, artiste installée à Paris, ou Cian, exilée à Lisbonne, partir n’est pas fuir : c’est chercher une autre manière de vivre. Cet épisode explore les raisons profondes de ce mouvement d’exil, les dilemmes qu’il soulève et les tensions identitaires qu’il révèle. Comment continuer d’aimer un pays que l’on ne parvient plus à habiter, mais que l’on porte encore en soi ? Un choix intime : entre peur, fatigue et quête d’un nouveau souffle Dans un pays où la politique façonne la vie quotidienne de ses citoyens, certains ne s’y reconnaissent plus. Ils font alors le douloureux choix du départ. Nicolas Falez, Guilhem Delteil et Sami Boukhelifa les ont rencontrés. A travers leurs témoignages, se dessine le portrait d’une génération pour qui partir ne signifie pas renier, mais réinventer son rapport à Israël. Avant, Yerida c’était vraiment un gros mot, presque synonyme de traîtrise. Quitter Israël sans égards pour la vie de tous ces êtres chers qui se sont sacrifiés pour construire le pays. De nos jours, le monde est beaucoup plus globalisé et si on tient compte de la situation actuelle en Israël, nombreux sont les jeunes qui ne voient pas d’avenir après le 7 octobre 2023. — Cian, a récemment quitté Israël pour Lisbonne. Que reste-il des valeurs sionistes ? Le mouvement de diaspora des Israéliens questionne les fondements même du sionisme. Que reste-t-il du rêve fondateur quand l’État semble se refermer sur lui-même ? Les départs touchent aussi bien des laïcs épuisés par l'influence croissante du religieux, que des entrepreneurs fuyant le coût de la vie ou la peur des guerres à répétition. La question n’est plus seulement politique : elle est existentielle. Où peut-on être Israélien, sinon en Israël ? Je m’identifie toujours comme Israélienne, pas Française. Ça fait partie de moi, c’est souvent honteux, surtout maintenant. Mais en même temps c’est une responsabilité que je n’ai pas envie d’avoir. — Ruth Rosenthal, installée à Paris. Cet épisode donne à entendre les voix d’un peuple en mouvement, partagé entre enracinement et fuite, entre mémoire et espoir d’un avenir différent. Avec : Ruth Rosenthal, installée à Paris. Son pays d'origine est omniprésent dans les œuvres de son groupe "Winter family". Cian, a récemment quitté Israël pour Lisbonne. Nathan Landau, père de famille qui réfléchit au départ.
5. Fractures israéliennes
03/11/2025
En 2019, Benyamin Netanyahu a détrôné le père fondateur du pays, David Ben Gourion : il est devenu le Premier ministre à la plus grande longévité de l’histoire d’Israël. Mais son exercice du pouvoir et les affaires de corruption pour lesquelles il a été mis en examen font de lui un homme politique honni par les uns, même s’il reste vénéré par sa base. Au fil des mobilisations, son nom est conspué dans la rue. Ses détracteurs disent lutter pour la démocratie, l’avenir du pays, s’interrogent sur la place de la religion et exigent la fin de la guerre pour permettre la libération des otages à Gaza. Mais ce n’est plus uniquement autour de la question palestinienne que se dessinent les fractures israéliennes. Depuis 2020, chaque samedi soir, les rues de Jérusalem et de Tel-Aviv se remplissent de pancartes, de chants et de slogans. Des milliers d’Israéliens protestent contre la politique de Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, et contre un exercice du pouvoir qu’ils perçoivent comme une menace croissante pour la démocratie israélienne. Au fil des années, ces rassemblements sont devenus le symbole d’un pays où la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et le pluralisme politique semblent fragilisés par un gouvernement accusé de dérive autoritaire. Les cortèges de manifestants rassemblent des citoyens de tous horizons : religieux, laïcs, jeunes, réservistes... tous sont unis par la conviction que l’avenir démocratique du pays est en jeu. Ces voix dissidentes dessinent le portrait d’un pays fracturé. La réalité, c'est qu'il n'y a qu'un seul État, un gouvernement unique qui contrôle tout et tous. [...] Et quand on observe la répartition des droits et des protections, des privilèges, des ressources et du pouvoir politique, on voit clairement qu'il s'agit d'une réalité d'apartheid. — Hagaï El Ad, ancien directeur général de B’Tselem, une organisation de défense des droits humains. La quête de la paix, les voix qui résistent Malgré la pression politique et sociale, des organisations comme Breaking the Silence ou La Paix maintenant continuent d’enquêter sur les abus dans les territoires palestiniens. Guilhem Delteil, Nicolas Falez et Sami Boukhelifa ont rencontré ces militants pour comprendre leurs points de vue. Les droits de l'homme ne sont pas l'affaire d'experts, mais celle des humains. Or, les humains ont la capacité d'identifier l'injustice lorsqu'ils la voient et de la combattre, de comprendre que l'effusion de sang, d’une ampleur sans précédent dans l'histoire du conflit israélo-palestinien, est une réalité qui n'est pas théorique. — Hagaï El Ad. L’État d’Israël est en proie à de véritable tensions internes. Les partisans du Premier ministre Netanyahou voient en lui le garant de la sécurité nationale, ses opposants dénoncent quant à eux une dérive autoritaire sans précédent. Avec : Nava Rozolyo, fondatrice des « Brigades de la honte », un mouvement de protestation contre le gouvernement Netanyahu. Hagaï El Ad, ancien directeur général de B’Tselem, une organisation de défense des droits humains.
4. Les Israéliens de la Torah
03/11/2025
En Israël, la religion structure profondément la société. Les ultra-orthodoxes, ou Haredim, (littéralement « craignant-Dieu ») privilégient l’étude de la Torah et refusent majoritairement le service militaire, suscitant des tensions avec le reste du pays. À la différence des sionistes religieux qui allient foi et nationalisme, revendiquant l’ensemble des terres bibliques et s’impliquant massivement dans l’armée et les colonies de Cisjordanie. Deux visions qui s’opposent dans leur rapport à l’État, mais qui pèsent de plus en plus lourd dans la vie politique israélienne. En Israël, deux grandes forces religieuses coexistent et s’opposent parfois : les ultra-orthodoxes et les sionistes religieux. Toutes deux puisent leurs références dans la Torah, mais leurs conceptions du rôle de l’État, de la Terre d’Israël et de la vie spirituelle divergent profondément. Ultra-orthodoxes : une communauté en pleine expansion démographique À Modi’in Illit, l’une des principales colonies de Cisjordanie, la vie est rythmée par la prière, l’étude religieuse et la natalité galopante. La démographie y est en plein essor : en 2050, un Israélien sur quatre pourrait appartenir à la communauté ultra-orthodoxe. Les Haredim - littéralement “ceux qui craignent Dieu” en hébreu - vivent pourtant en retrait du reste de la société israélienne, refusant souvent (à quelques rares exceptions) le service militaire et suscitant de vives tensions avec le reste du pays. Prendre des gamins de 18 ans et les envoyer à l'armée, ça les casse pour la vie. Parce qu’ils n’étudieront pas, parce qu'ils sont pris dans un autre monde et ça les enlève complètement de leur environnement orthodoxe. — Rabbin Henri Kahn, directeur de la revue ultra-orthodoxe Kountrass. Sionistes religieux : foi, nationalisme et actions politiques À l’opposé, les sionistes religieux allient foi et nationalisme, utilisant l’État pour faire valoir leurs valeurs religieuses et s’impliquant massivement dans l’armée. Pour eux, la colonisation est l’accomplissement d’un devoir biblique : reconstruire la présence juive sur la terre promise. D’après les sionistes religieux, la frontière de 1967 n’a pas de sens spirituel. Toute la terre d'Israël, c'est une seule terre. Il n’y a pas de différence entre d'un côté ou de l'autre de la frontière de 67, qui n'est pas définie par nous. — Elyahu Sellem, habitant de la colonie de Amihai, en Cisjordanie occupée. Deux visions du judaïsme, un impact majeur sur la politique israélienne Entre retrait vis-à-vis de l’État d’une part, et participation active aux institutions de l’autre, ces deux mouvements religieux influencent différemment la société israélienne, et redéfinissent les frontières symboliques, politiques et territoriales du pays. À travers les témoignages de religieux, de colons et de chercheurs, cet épisode met en lumière des approches opposées de la foi, du territoire et du pouvoir, révélant l’une des nombreuses divisions internes d’une seule et même société. Avec : Henri Kahn, directeur de la revue ultra-orthodoxe Kountrass Perle Nicolle-Hassid, sociologue, spécialiste des mouvements radicaux. Elyahu Sellem, habitant de la colonie de Amihai, en Cisjordanie occupée. Michal Zelikovich, habitante de la colonie de Kida. Et membre du Forum Kohelet, un cercle de réflexion conservateur.