Solène Corlet, les couleurs de l'atelier teinture du Mobilier national [3/9]
100% création vous propose une série estivale dédiée aux métiers d'art du Mobilier national. Au sein de ce lieu emblématique du patrimoine français, l'atelier de teinture, créé en 1665 par Colbert, est un lieu historique qui n'a pas changé de place depuis sa création. Le nuancier du Mobilier national est un grand album regroupant plus de 16 000 couleurs de laine teintées, servant à la classification et mémorisation des couleurs. Il facilite le dialogue entre artistes et artisans pour la création ou la restauration, permettant ainsi de retrouver précisément les couleurs d'origine grâce à un système de référence enrichi chaque année. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous avec Solène Corlet, teinturière et adjointe à la cheffe de l'atelier teinture du Mobilier national. Elle prépare et ajuste les teintures pour les tapisseries, tissus et œuvres d'art. « C'est un défi à chaque fois. Un nouveau projet, une nouvelle couleur et cela change tout le temps. C'est ce qui est bien », confie-t-elle. « La teinture a agi sur toutes les tapisseries et les tapis qui sortent du Mobilier national. Et nous, nous trouverions agréable que cela soit plus mis en avant, parce que c'est un savoir-faire. Certes, nous sommes dans notre coin, remisé, caché, mais c'est un savoir-faire qui se perd s'il n'y a pas de transmission, s'il n'y a pas de visibilité, si on ne dit pas que c'est un métier génial », assure la teinturière. Née à Saumur (Maine-et-Loire), Solène Corlet a toujours été passionnée par les couleurs et l'artisanat textile. Dyslexique, elle a rencontré des difficultés dans le système scolaire classique, ce qui l'a conduite à suivre un parcours atypique : une année de licence d'anglais, puis une mise à niveau en arts appliqués, et enfin un diplôme des métiers d'art textile, option broderie. Après ses études, elle a effectué des stages notamment au Mobilier national en restauration tapisserie, ce qui lui a permis de découvrir le métier de teinturière. Cette amoureuse des couleurs a intégré l'atelier de teinture où elle prépare et ajuste les teintures pour les tapisseries, tissus et œuvres d'art, en utilisant des techniques empiriques transmises oralement : « Il n'y a pas de livre de recettes. Chaque personne a un petit carnet où elle note ses formules, mais nous savons que lorsque nous devons refaire la même couleur, nous ne pouvons pas reprendre ces notes et refaire la couleur. Ce n'est pas possible. Si nous le faisions, nous serions 30% trop foncé, donc cela veut dire repartir plus clair et se rapprocher de la couleur. En plus, cela diffère du lot de laine. Nous avons une commande de laine qui est passée presque tous les deux ans, nous commandons une tonne. Cette laine n'est pas blanche, elle ne va pas avoir le même écru, elle peut être plus jaune que celle d'il y a deux ans et cela va jouer sur la couleur. » La maîtrise des couleurs et la connaissance des matériaux sont essentielles, car la longévité de l'œuvre tissée dépend en partie des coloris. La difficulté de reproduire exactement une couleur, en raison de la variabilité des matières, souligne, selon Solène Corlet, la dimension artisanale et unique de chaque teinture : « La matière première a déjà une couleur. Le colorant n'est pas un pigment. Le pigment s'applique sur une matière et c'est tout. Le colorant se lie chimiquement à la matière. Par transparence, on voit la couleur qu'il y avait en dessous. Notre laine un peu jaune, si nous faisons un violet, cela grise. C'est compliqué, nous ne pouvons pas reproduire exactement la même couleur. C'est pour cela que notre métier est très empirique. Il faut ajuster à chaque fois. Cela prend beaucoup de temps. » L'atelier teinture a pour mission de teindre la quantité – aussi appelé kilotage – de fibres textiles nécessaires à l'exécution ou à la restauration de tous les tapis et tapisseries. L'atelier teint annuellement une moyenne de 600 kilos de laine, 10 kilos de soie et 10 kilos de lin. À la demande des liciers – ceux qui tissent – et selon différents cas de figure, l'atelier de teinturerie doit trouver les nuances de couleurs très précisément : « Soit ils arrivent avec un échantillon sur une cartonnette, un échantillon en laine teinte que nous avons déjà fait, soit ils arrivent avec des échantillons, et nous allons en discuter. Il va nous dire ''il faut que ce soit plus bleu, plus rouge'' etc. Un autre cas de figure : une gamme. On nous donne le plus clair, le plus foncé, et nous allons créer ce qu'il y a entre. Les liciers arrivent avec les couleurs qu'il faut et le bon poids pour toute la pièce. Comme ça, normalement, nous n'avons pas à refaire. Il faut un kilotage avec la bonne quantité avec une petite marge de sécurité pour qu'il n'y ait pas à refaire. Ensuite, une fois qu'on a récupéré les échantillons et qu'on a discuté de cela, pour nous, la première étape, c'est la laine. On la reçoit en écheveau, donc c'est une boucle de laine et elle n'est pas traitée. Il faut la passer au dégraissage, parce qu'il y a encore le suint du mouton sur la laine, et ensuite le mitin. Le mitin, c'est un produit chimique qui va rentrer au cœur de la fibre. Comme cela, il n'y aura pas de petits trous de mites quand les licières sont en train de tisser. Puis, il y a deux cas de figure : soit on fait directement les couleurs qu'on nous a demandées, soit il y a eu des essais tissés avant. C'est le cas en général, pour voir si les couleurs se mélangent bien ensemble. Elles nous font teindre et après, on refera avec le bon kilotage. » Solène Corlet, après avoir reproduit les échantillons sélectionnés au nuancier ou créé des couleurs inédites nécessaires à la transposition du modèle mis en production, élabore, en collaboration avec le licier et l'artiste, de véritables combinaisons chromatiques. « Il y a un monsieur qui est important historiquement à l'atelier de peinture, c'est Michel-Eugène Chevreul. Il a été directeur de l'atelier Teinture et du Muséum d'histoire naturelle. Il a mis en forme le cercle chromatique et il a aussi fait plein d'autres recherches. Celle qui nous intéresse, c'est par exemple pour le blanc, le contraste simultané des couleurs. En simplifié : une couleur à côté d'une autre, optiquement, ça donne un résultat. Toutes seule, ça donne un autre résultat. Nous ne pouvons pas faire de blanc, donc, nous allons chercher optiquement que cela fasse blanc par rapport à ce qu'il y a autour. On n'a pas de blanc, mais on va faire un gris très clair ou un petit violet. À côté de jaune, de rouge, de vert, il va paraître blanc », développe-t-elle. Dans son atelier, Solène Corlet doit faire face à des contraintes d'abord physiques, comme les risques de brûlures, ainsi que chimiques, avec la manipulation d'acides ou de colorants, mais aussi environnementales. Pour l'équipe de l'atelier de teinture, l'évolution vers des produits moins toxiques et la sécurité sont des enjeux majeurs : « Il y a eu des colorants naturels jusqu'en 1940. Maintenant, nous sommes passés en synthétique, cela change tout. Ici, au Mobilier national, on teignait avec les colorants dits grand teint : garance et rouge orangé, cochenille et rouge violacé, pastel indigo et les bleus. La gaude, c'est du jaune et le brou de noix, cela donne tout ce qui est marron et les couleurs des carnations. Cela marche avec un mordant, qui va fixer le colorant sur la fibre. Il y a plusieurs mordants. Le plus récurrent, parce que c'est celui qui correspond vraiment aux couleurs des plantes, c'est l'alun. On peut nuancer la couleur avec d'autres mordants comme le fer, le plomb, le cuivre, le titane. Mais du coup, c'est toxique. Question sécurité, c'est mieux maintenant. Aujourd'hui, on a nos colorants qui sont bien identifiés. Cela étant, il y a des recherches sur les colorants. Il faut vérifier s'ils sont encore bons. Il faut qu'on soit alerte à cela. Et puis, il y a des choses qu'on ne trouve pas. Par exemple, l'antimite, ce n'est pas bon pour les insectes, ce n'est pas très bon pour l'environnement. On sait que ce n'est pas l'idéal, mais il n'y a rien de mieux qui a été fait pour l'instant. Au sujet de la sécurité, nous utilisons des acides, donc on fait attention quand on les manipule. Nous sommes presque toutes SST (secouriste du travail), nous connaissons les gestes à tenir si jamais il y a une brûlure. » L'atelier de teinture, c'est une équipe restreinte de quatre personnes, où la transmission doit être assurée en permanence, car l'absence de cursus officiel menace la continuité de ce savoir-faire précieux : « Nous travaillons globalement tous sur les mêmes projets, en se les répartissant parfois parce qu'il y a beaucoup de travail. Il y a l'expérience. Les couleurs très claires ne sont pas très faciles à avoir, et les soies, c'est très délicat. Si on vient d'arriver, on ne va pas être mis directement sur une soie ou sur une couleur très claire. Après, c'est l'appétence de chacun. Je préfère les couleurs flashy, donc si tout le monde est d'accord, je prends les clairs. J'ai une collègue, Doriane, qui aime les verts. Moi, je préfère les jaunes. On va se les répartir comme cela parce que j'ai remarqué que quand on apprécie la couleur, c'est plus facile de la faire. Nous devons être polyvalents. Comme nous sommes quatre, il suffit qu'il y ait quelqu'un de malade ou en congés. Il faut pouvoir tout faire. La transmission, ici, occupe une grande place puisqu'il n'y a pas de formation. Nous sommes formés par le chef. Nous sommes là pour transmettre le savoir-faire parce que nous devons apprendre aux nouveaux recrutés comment faire, apprendre à exercer l'œil. Et ce n'est que de la transmission. Il n'y a pas de formation, pas d'école. Quand on prend quelqu'un, la personne est directement mise sur la production et doit apprendre. Et si cela ne marche pas, et bien cela ne marche pas. » Abonnez-vous à 100% création 100% création est disponible à l'écoute sur toutes les plateformes de podcasts : PURE RADIO, Apple Podcast, Castbox, Deezer, Google Podcast, Podcast Addict, Spotify ou toute autre plateforme via le flux RSS. 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